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jeudi 31 octobre 2013

Les lettres de Nine — Monsieur mon voisin




Parmi les textes que je reçois, une série de lettre a retenu mon attention. Les lettres qu'une jeune femme a écrit à toutes celles et à tous ceux à qui elle n'a su dire ce qu'elle ressentait. Un style limpide et poignant que je vous laisse apprécier.



                         Monsieur mon voisin,

Je vous écris aujourd’hui car nous vivons l’un à côté de l’autre sans nous connaître et sans nous comprendre.
Je vous ai vu arriver dans votre très belle et très grosse nouvelle voiture. Celle que vous mettez une demi-heure à garer et j’ai su que vous pourriez m’éclairer sur notre monde moderne.
J’ai 23 ans et je suis infirmière dans un hôpital psychiatrique. Rassurez-vous, nos dirigeants ont pris soin de le mettre à l’abri de votre regard, loin de la ville et des honnêtes citoyens. Cela me semble paradoxal puisque notre mission est d’aider ces gens oubliés des autres êtres humains à retrouver une place au sein de la société. Pour répondre d’avance à la première question que vous me poserez, je n’ai pas peur de travailler avec les fous. J’essaie chaque jour un peu plus de les comprendre, de comprendre leur violence et pour certains de comprendre pourquoi ils vous détestent tant.
Par contre, j’ai peur de vous. Parce que vous ne m’avez jamais vue et qu’un jour vous allez m’écraser avec votre très belle et très grosse voiture. J’ai peur de vous parce que je vous entends crier que vous en avez marre de payer des impôts, que les gens n’ont qu’à se bouger, que tout le monde en est capable puisque vous le faites. Et j’ai peur de vous parce que vous donnez des coups de balais pour faire taire ma musique qui parle de liberté et d’amour entre les hommes mais qui trouble la tranquillité que vous payez si cher.
Et j’ai très peur qu’un jour, tous les hommes comme vous ne veulent plus payer leurs impôts et veuillent de très grosses et de très belles voitures.
Moi, je pense qu’une société qui va bien est capable de bien éduquer ses enfants et de prendre soin de ses malades. Pourquoi, aujourd’hui en France, nous n’y arrivons plus ? A quel moment avez-vous arrêté de regarder  les bords de la route pour ne plus vous concentrer que sur votre tableau de bord ?


Vous dites a vos filles de choisir un métier qui leur fera gagner beaucoup d’argent pour être à l’abri du besoin. Mais quel est le besoin ? Vous dites aussi à vos filles de ne pas trop parler avec les gens comme moi, que je suis une gauchiste qui n’a pas conscience des réalités. Si la réalité, c’est de devoir écraser les autres pour avoir une belle maison et de beaux bijoux, ne m’en veuillez pas mais je préfère garder la mienne qui est d’avoir conscience de l’autre, de son existence, de sa souffrance et de vivre avec lui en m’enrichissant de ce qu’il est.
Je pense malheureusement que notre groupe social s’effrite parce qu’à l’heure actuelle, aucun de nos dirigeants n’arrive à prendre la place de leader nécessaire  à la cohésion du groupe. Non, je ne vous parle pas de gauche ou de droite, je vous parle d’humanité.
Monsieur, vous avez deux filles magnifiques et vous êtes très fier d’elles. Et bien sachez, que je ne veux pas d’enfant car je ne veux pas les faire grandir dans ce monde que nous construisons ensemble mais l’un contre l’autre. Alors, cela veut dire que je suis entrain de perdre tout espoir. Je ne pense même pas que l’avenir arrangera les choses. Est-ce que vous pensez que c’est grave d’avoir déjà perdu l’espoir à 23 ans ?
Je ne vous parlerai même pas des enfants d’Afrique qui meurent de faim, car ce ne sont que des images dans votre télévision. Je ne vous parlerai que de ceux qui sont sous vos fenêtres double-vitrage que vous avez payé cher pour ne pas entendre les cris de ceux qui meurent dans la rue.
Monsieur, aujourd’hui, j’ai vu un homme se taper la tête contre les murs à cause de la douleur de ne pas se sentir appartenir à ce monde. Ma souffrance n’est plus très éloignée de la sienne, car je sens que notre société me rejette un peu plus chaque jour. Alors, je m’adresse à vous, mon semblable pour vous poser une question fondamentale. Que ferez-vous quand nous, soignants, ne seront plus capables de prendre soin des malades, des désespérés ? Est-ce que vous mettrez un verrou de plus à votre porte ?

Je crois que je commence à vous détester et c’est très grave, parce que cela veut dire que je commence à devenir comme vous.
Je commence à sentir de la violence monter en moi, je commence à avoir envie de vous voir mourir. Et cette haine qui est en train de naître est contraire à tous mes idéaux. La violence est le dernier recours des hommes, c’est l’arme de ceux qui ne savent plus comment parler. Alors, je vous demande, Monsieur mon voisin, comment faire pour ne pas vous haïr. Cette demande vient du fond de mon cœur d’enfant, qui refuse de se flétrir et de devenir comme le votre. Je vous demande, Monsieur, puisque vous êtes responsable de sa perte de me rendre mon espoir en l’Homme.
J’ai relu la voie de la non-violence de Gandhi et le discours de Martin Luther King et je me dis que ces hommes avaient de la chance car ils rêvaient encore. Ils pensaient encore que tout était possible. Et avec cet espoir immense, ils ont déplacé des foules. Moi, Monsieur, c’est des cauchemars que je fais toutes les nuits. Je vois une armée de vous prendre possession de la terre. Je rêve que nulle part, je ne pourrais vous échapper car vous aurez construit un monde de belles et grosses voitures, une jolie façade, un décor de cinéma derrière lequel vous aurez fait des ghettos où les pauvres et les faibles pourront mourir à l’abri du regard des autres pour ne plus vous déranger. Un monde duquel vous m’aurez éradiquée ainsi que tous les utopistes.
Alors Monsieur, je vous le dis, j’ai très peur de vous, car la police veut bien vous donner une arme puisque vous êtes un honnête citoyen. Mais un jour, quand vous n’en pourrez plus d’entendre John Lennon dire d’imaginer  tous les hommes vivant en paix, peut-être que vous viendrez me tuer au nom de votre paix à bien à vous que je n’aurais pas su comprendre.

J’ai toujours cru que si nous apprenions l’histoire, c’était pour éviter de refaire les mêmes erreurs. Mais alors pourquoi donc nous enseigner que le peuple français s’est battu pour sa liberté si nous nous asservissons de nouveau nous-mêmes ? Pourquoi nous enseigner les guerres, si nous sommes capables de cautionner encore les actes de violences et de barbarie ?
L’homme n’est pas bon par nature mais il sait vivre en société. Avant, j’étais fière d’être française, car nous étions un pays, dans lequel les gens avaient conscience les uns des autres, car nous étions une terre d’accueil et d’espérance, car nous étions un peuple profondément tourné vers l’autre. Et maintenant, je vous regarde tous les jours et je ne veux pas appartenir à la même espèce que vous. Jamais je ne veux oublier comme il est facile de donner un sourire ou de tendre une main.
Monsieur mon voisin, ceci est le cri de désespoir d’une jeune femme qui refuse de devenir adulte dans ce monde que vous nous avez construit. Je vous demande solennellement de m’aider à retrouver foi en notre monde en enlevant vos œillères, en constatant l’œuvre à laquelle vous avez contribué et en m’aidant à vous comprendre pour ne jamais faire les mêmes erreurs en oubliant mes priorités et mes idéaux.

Car, Monsieur, quand je vois votre manière de ne vivre que pour l’argent, d’exploiter l’autre, d’oublier d’aimer, je me demande qui sont vraiment les fous.
 



1 commentaire:

  1. Nous avons tant de voisins comme le tien .... c'est vraiment très beau ! Merci !!
    Marie

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