Cher journal,
C’est le coeur battant
que je t’écris pour la première fois. Alors que mon poignet ondule au dessus de
la feuille encore blanche, et que ma plume danse sous mes doigts, j’entends ma
propre voix résonner dans mon esprit. Elle lit ce que j’écris, au rythme où je
l’écris. Je n’ai pas encore écrit une page et voici que je me prends déjà pour
une Bridget Jones, avec la musique et la voix off ! Mais c’est assez amusant.
Assez pour que je continue à me prendre pour une romancière, ou une
chroniqueuse de la vie. C’est étrange, ce terme de “chroniqueuse de la vie”,
non ? Je le tiens d’une amie qui, un jour où mon moral était plutôt bas,
m’avait tendu un livre —qui n’était d’ailleurs pas terrible : j’en ai oublié
jusqu’au titre !- et l’avait introduit de la sorte :
- Ma chérie, ce
qu’il te faut c’est un regard neuf sur le monde. Lis ceci, c’est un journal
intime fabuleux ! Celle qui l’écrit est une chroniqueuse de la vie, elle ne
change pas ton quotidien, mais t’apprend à le voir différemment.
Je serais bien incapable
aujourd’hui de te dire de quoi parlais ce journal. Après l’avoir lu, je me suis
endormie ; et le lendemain, j’avais déjà tout oublié. Peut-être était-ce la
leçon de ce livre : oublier pour tout redécouvrir et s’émerveiller de tout,
chaque jour ?
L’avantage dans un
journal —en dehors du fait de pouvoir s’exprimer sans jamais être interrompue
par d’autres que soi-même- c’est que l’on peut se faire lyrique, ou grave ;
écrire de profondes maximes, ou des choses si légères qu’elles seraient tout à
fait grotesques si prononcées. Non pas que j’ai la tête pleine d’âneries, mais
il est bon, parfois, de pouvoir déverser quelque part le trop-plein d’idées que
je peux avoir, quelles qu’elles soient.
Par exemple, je me suis
toujours demandé pourquoi je pensais autant. Je veux dire, il ne se passe pas
une minute sans que je réfléchisse à quelque chose. Parfois c’est important,
parfois non. Je peux penser à la beauté du style célinien, et la seconde
d’après essayer de trouver pourquoi la chasse de mes toilettes fuit, le tout en
étant en cours d’histoire. En général, la Guerre Froide prend le dessus sur mes
problèmes plombiers, bien qu’il me soit déjà arrivé d’imaginer Kennedy, habillé
en Mario Bros, en train de triturer le flotteur du réservoir de mes commodités
tandis que Céline, assis dans un coin, se délectait de le décrire avec toute
l’oralité d’un style que nul ne saurait dépeindre.
Voilà que je m’égare
—encore !- et que je raconte n’importe quoi. Revenons-en à ce qui me pousse
aujourd’hui à t’écrire, journal. D’abord, j’ai vu un film dans lequel l’héroïne
écrivait, et même si je me targue d’être indépendante et tout et tout, j’ai trouvé
que c’était chic d’avoir un journal, et me voici. Et puis, je suis depuis
longtemps intéressée par le pouvoir de l’écriture. J’ai déjà, à de maintes
reprises, croisé la plume avec moi même, au détour d’un carnet, d’une feuille
volante ou d’un clavier. Mais ce que je désire entreprendre aujourd’hui ne
connait pas d’antécédent (enfin, pas dans mes délits de scribouillarde, jusqu’à
présent).
Donc, le pouvoir de
l’écriture...
Le sujet est vaste et il
serait bien vain de vouloir le couvrir en une seule fois. C’est d’ailleurs
pourquoi je commence un journal : afin de pouvoir y revenir souvent, et aller à
chaque fois un peu plus loin dans ma réflexion. Et puisqu’il faut bien
commencer quelque part, jetons-nous à l’eau dès maintenant : que dire du pouvoir
cathartique de la plume ?
C’est, sans doute, une
tarte à la crème de la Littérature, et je soupçonne même la Philosophie de
traiter la question, quant elle vient à manquer de sujets potables pour le bac.
Mais quand même, c’est important la catharsis !
J’écris donc je suis.
Mais celui que j’écris est une autre moi. Un moi d’encre et de papier. Un moi
mutagène et mitigé. Si j’évolue, en tant qu’individu, à chacune des rencontres
que je fais, s’il est possible que j’eus été une autre si les décisions que j’ai
prises avaient été différentes, ne serait-ce que d’un iota ; mon moi de bleu et
de ratures se meut à la vitesse de ma plume et il suffit que j’écrive un mot
plutôt qu’un autre pour que ce dernier emporte mon imagination, mon
inspiration, loin de mon projet initial et transforme ce moi de pur logos en
une entité entièrement distincte de ce qu’elle aurait pu être si j’avais écrit
le mot que j’avais en tête sans hésiter.
Ainsi, lorsque je m’amuse
à être une chroniqueuse de la vie, moi aussi, avec la voix off qui lit par
dessus mon épaule à mesure que je compose ; ce n’est pas uniquement une
gaminerie que je m’autorise, c’est aussi la rencontre de deux de mes moi :
celui qui est, et qui n’est que dans l’instant où j’écris car il est déjà autre
au moment où je cesse (puisqu’il a accompli l’action d’écrire, il est influencé
par celle-ci et peut maintenant, entre autre, se définir par rapport à elle),
et l’un des moi qui peuvent exister dans cet univers en deux dimensions qu’est
la feuille sur laquelle j’écris. Et de la rencontre de ces deux moi —mot
singulier dans la mesure où, malgré tout, toutes les entités évoquées ci-après
sont constituantes d’une même personnalité, la mienne- peuvent naître la
complaisance, le conflit, l’angoisse, etc ... Autant de sentiments que de moi
potentiels.
Mais au delà des émotions
que cela peut susciter, ce processus est une introspection. Lorsque j’écris,
quoi que j’écrive, c’est de mon sang que se nourrit ma plume. Lorsque je
j’écris, quoi que j’écrive, c’est ma vie que je mets en scène. Lorsque j’écris,
c’est moi que je (re)découvre à chaque page que je tourne. Je peux ignorer ce
face à face que je provoque, mais il n’en existe pas moins pour autant.
Etant plus jeune, je
m’étais prise de passion pour la méditation. Faire le vide en soi afin de
s’écouter, pour de vrai, et atteindre la paix ; l’adolescente complexée que
j’étais aspirait ardemment à cela. Mais je n’ai jamais été très patiente. Et
puis, on est bien trop nombreuses dans ma tête pour arriver à se taire toutes
en même temps. Je pense trop. Du coup, plutôt que de m’escrimer dans les
limbes, j’ai écrit. J’aime ce vocable : j’ai écrit. Il a une saveur, quelque
chose de définitif, et un arrière goût de transgression. J’ai écrit. Quand j’ai
eu fini, je me suis reculée, et j’ai regardé. Tel un Basil devant son Dorian,
j’ai contemplé les quelques pages que je venais de rougir. Elles braillaient,
babillaient d’incompréhensibles sentences, et me regardaient d’un oeil
farouche. Ce que j’avais écrit ne m’appartenait plus. Ces pages étaient la
propriété d’une autre moi. Elles étaient à ce moi qui vivait en elles. Je
pouvais m’identifier à lui, mais je ne pouvais cependant plus prétendre être
lui, ou elle. Je me suis vue ; je me suis lue. J’ai écrit et je me suis trouvé.
Je me suis parlé, je me suis jaugée. Et puis j’ai recommencé, plus tard.
A chaque fois que j’ai
écrit, je me suis trouvée face à une autre moi-même. J’ai aimé ces autres moi,
je les ai aussi détestées, parfois. Mais, à tous les coups, je me suis sentie
mieux, plus légère et plus «vide» après ces rencontres. Je n’arrêtais pas
d’écrire, je revenais à la réalité. L’écrivant n’est plus au monde, il se
trouve dans un espace parallèle quand il écrit. Il invente un univers dans
lequel il ne peut être qu’au moment où il le crée, et qui pourtant ne lui
appartient pas. Dans cet espace —intime-, il se voit, se contemple et se
comprend. A son retour, il est purgé, expurgé, vidé d’une partie de sa
substance ; celle-là même qu’il a donné et insufflé dans sa création.
L’écriture serait une
affaire de méditation ?
C’est ce que je me plaît
à croire, alors que je termine notre premier dialogue, journal. Mais si,
c’était un dialogue, tu le sais maintenant.
Marcel Shagi
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