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dimanche 11 décembre 2011

Comprendrons nous jamais le malaise Byronien ? (ou romantique ?)



"Le souvenir du bonheur n'est plus du bonheur ; 
le souvenir de la douleur est de la douleur encore."
Byron



Oui, mais !
Le souvenir du bonheur, ça peut causer la douleur, non passée, mais bien présente celle-ci. Mellon Collie and the infinite sadness, le souvenir heureux, s'il n'est pas gentiment prisonnier des geôles du temps, s'invite à notre table aujourd'hui comme les esprits qui visitent ce pauvre Scrooge. Car même si ce souvenir, vieux, poussiéreux, jauni et corné par les sables du temps, n’est plus du bonheur, il nous met face à notre situation, et nous renvoie dos à dos, notre vie et nous. Quid si le passé est plus lumineux qu’aujourd’hui ? Un Oedipe mal résolu, un âge d’or non enterré, une dent de lait retrouvée après tant d’années, une personne que l’on croise vingt ans plus tard, etc... Autant de choses qui peuvent provoquer en nous une nausée nostalgique ou de mélancoliques insomnies. Car dans ce cas là, ce n’est pas le souvenir de la douleur qui est douleur —encore-, mais la finitude de son antinomie : le bonheur. Parce qu’il est fini, révolu, et parce qu’on en a —tristement- conscience, le souvenir heureux est un détestable point de comparaison avec notre époque, notre présent, notre personne. 

Que sont devenus nos rêves ? Comment la félicité a-t-elle pu prendre la clé des champs ? Cela s’est-il passé un beau matin ? Tout à coup, en ouvrant les volets, elle s’était envolée ? Ou alors s’est-elle consumée d’avoir été aimée avec trop de prévenance et de parcimonie ? Que sont devenus nos espoirs ? Où sont passés nos idéaux ? Et nos cheveux (version masculine de l’impersonnel du texte) ? Et notre taille de guêpe (version féminine de l’impersonnel du texte*) ?

Le souvenir du bonheur n’est que l'apparat du malheur présent. Et quand bien même le présent serait-il supportable (il ne l’est plus depuis les romantiques ; le consumérisme fait tout son possible pour curer la population de cette redoutable pathologie, loué soit-il), une telle réminiscence ne peut, au mieux, que se borner à ne pas (trop) lui faire d’ombre.


Ainsi, parce que le souvenir du bonheur n’est pas le bonheur (on ne discutera pas cette thèse de l’Auteur que tous les faits corroborent (même l’érection du jeune ex-puceau qui repense à sa première fois, aussi guillerette qu’elle soit, ne saurait remplacer la jouissance propre à l’acte sexuel (reste que cet exemple est bancal, car fondé sur une hypothèse bien trop lourde : à savoir, la jouissance de la première fois (ce que Barthes peut nous aider à démontrer dès lors que l’on distingue plaisir et jouissance (même s’il ne parle que du plaisir —et de la jouissance- du texte, on postulera que le-dit ex-puceau écrit son amour (ou son bestial désir) dans l’acte même d’aimer : les préliminaires et la petite mort représentant autant de scenarii, de constructions romanesques et de lectures communes, des corps et des esprits (confere Barthes Le Plaisir du texte et Les Fragments d’un discours amoureux et Calvino Si Par une nuit d’hiver un voyageur))))), parce qu’il n’est pas le bonheur, donc, il serait inférieur à la douleur ?

C’est ce que Byron laisse à penser, lorsqu’il oppose le souvenir du bonheur au souvenir de la douleur. D’après ces mots, nous pouvons émettre l’hypothèse qu’un souvenir, s’il n’est pas heureux, est alors douloureux. C’est un peu manichéen (mais quel romantique ne le serait pas ? Cela a une admirable force dramatique, voire tragique), mais cela reste valable si l’on postule qu’il n’existe pas de souvenirs “neutres” —se laver les dents ou conduire jusqu’à son travail sont des moments banals de la vie que la routine, alors même qu’elle les ancre dans notre existence comme rythme de vie, efface en tant qu’actions propres et localisées dans un temps, fut-il celui, brumeux, de notre mémoire. On peut donc raisonnablement classer tous nos souvenirs entre les heureux et les malheureux. Et ces derniers, non content d’être les fantômes de nos tourments passés, seraient, en sus, des douleurs actuelles (ce qui nous a conduit à supposer, plus haut, que le souvenir du bonheur est inférieur à son alter ego malheureux). Des souffrances qui tireraient leur nouvelle consistance du simple fait qu’on a songé à ce qu’elles ont été, autrefois. Admirable pouvoir que celui de l’esprit : le voyage dans le temps existe déjà, et il a une conséquence tangible dans le présent : la douleur.

Il ne s’agit, bien entendu, pas de petites douleurs comme une migraine ou une entorse. La douleur est noble dans la prose byronienne : elle est douleur de coeur, douleur de l’âme ou de l’honneur et renvoie à une perte aussi dramatique que définitive.


Il convient, à ce stade de la réflexion, et pour tenter d’apporter une réponse au problème que nous nous sommes posés, d’introduire ici la notion de temporalité sans laquelle le présent débat ne saurait ni être, ni se résoudre. En effet, le temps est un acteur clé dans la phrase du Dandy Anglais. Le souvenir du bonheur n’est pas bonheur parce que l’homme vieillit. Parce qu’au moment où l’homme se souvient, il est plus proche de sa fin. Nonobstant l’étendue des projets qu’il peut réaliser avant son trépas, il voit le passé comme un âge d’or perdu et à jamais interdit désormais. Car le passé est connu, il est certain, et il est empirique. L’avenir, quant à lui, n’est que prospectives et incertitudes. Tout d’abord, parce que toute idée, toute velléité d’accomplissement peut être sanctionnée par l’échec. Ensuite, parce que la Mort peut s’inviter à tout moment dans notre existence. En comparaison, le passé est une “valeur sûre”. D’une certaine manière, la mélancolie romantique n’est ni plus ni moins qu’une spéculation sur l’or, lorsque les valeurs incertaines du présent et de l’avenir (qui ne sont jamais que deux différentes modalités d’une même temporalité encore à venir, ou en train d’advenir) menacent de s’effondrer. 

Revenons à la douleur. Elle est perte. Celle d’un être cher, celle de sa propre jeunesse, ou de ses idéaux. Et elle est —à tout le moins elle semble- définitive. Car le temps pousse la Femme** à préférer se moirer dans un passé illusoire plutôt que de se projeter dans un avenir incertain et où, potentiellement, cette perte pourrait être contrebalancée par un heureux hasard.


Donc, parce que le Temps détruit tout sur son passage, et ne permet aux hommes que de rêver au conditionnel, le souvenir heureux n’est plus bonheur (car il est terminé et ancré dans une époque que notre conception linéaire de la temporalité nous impose de voir comme révolue), et le souvenir malheureux est, encore et toujours, douleur (car la perte est la seule chose qui puisse traverser les époques d’une vie : on ne revient jamais en arrière pour prévenir la disparition de ses cheveux, de ses parents ou de sa fierté).
Comprenons-nous mieux les romantiques pour autant ? Ca reste à prouver... 

Marcel Shagi

* : Non, il n’y a pas de logique ou de message caché derrière l’ordre d’apparition de ces deux parenthèses ; toute ressemblance avec une quelconque lutte des sexes ou cliché du mâle essayant tant bien que mal de se mettre au goût du jour (le féminisme) sans pour autant parvenir à se départir de ses immémoriaux schémas mentaux de patriarcat est fortuite.

** : Il n’y a pas de raisons : l’humanité a été plus haut invoquée dans le texte sous le vocable de “l’Homme”, alors, et en vertu de l’égalité homme femme, on alterne.

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