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jeudi 23 septembre 2010

Automne ...



Le temps des roses est terminé
Une vie si simple, et compliquée,
Qu'à peine fleurie, elle est fanée,
Et tout est à recommencer ...




Automne, ô tonne ! Chape de feuille qui plombe mon cœur d'une langueur monotone. Le soleil fond, ses rayons coulent dans le ciel, le délavent de son azur, pour s'en aller mourir dans l'eau miroitant les couleurs chamarrées de ces chaudes voltigeuses que le vent fait valser en improbables arabesques virevoltant encore lorsque vient l'heure pour l'élève de reprendre le chemin de craie qui le conduit ...

Qui le conduit où, d'ailleurs ?

Certes, le lyrisme c'est bien, mais où va-t-il ? L'élève, s'entend, pas le lyrisme. Quoi que, la réflexion peut également être envisagée. Où va le lyrisme ? Suit-il l'élève qui, du fond de sa classe, du fond de sa cage, regarde, hagard, l'oiseau lyre, qui passe dans le ciel ? Mais, l'oiseau lyre, c'est le lyrisme !, me direz-vous alors, plein d'un espoir naïf, que reflète d'ailleurs bien le regard vitreux de ce type étrange qui, du matin au soir, ne trouve rien d’autre à faire que se recoiffer en même temps que moi et toujours à l’identique … Oui, mon regard est vitreux quand je vous entends me dire que l’oiseau lyre est lyrisme, car vous condamnez l’élève, et cela m’attriste ! S’il est lyre, s’il est oiseau, alors le lyrisme laisse l’écolier seul sur son banc, et ne vient jouer avec lui que dans ses songes, tandis qu’il est toujours assis en première ligne, sous le feu nourri des doctes postillons professoraux. Et alors que le poêle lui chatouille délicatement l’échine, ronronnant sa chaleur –la chaleur d’un été qui, comme le poète, est mort trop tôt-, l’élève s’évade, en pensées uniquement. Et lorsqu’il revient à la réalité, Jacques ne nous dit pas tout : « Quand vous aurez fini de faire le pitre » … vous copierez vos tables cent fois !, omet d’ajouter le poète, lui même emporté par le flot des mots et le vol de l’oiseau.
L’oiseau ne reste pas, les autres élèves n’entendent pas sa chanson. Pour qui sonne le glas de la récré ? Pour lui, l’écolier, qui prend le chemin de craie qui le conduit dans le moule, et nulle part ailleurs. Bien sûr, il peut rêver, convoquer l’oiseau à loisir, mais jamais le volatil(e) ne franchit les barreaux de la cage de papier qui retient le bambin. Et lorsque souffle le vent de la punition, l’oiseau s’envole, et les écrits restent, lignes bêtement copiées, exercices supplémentaires, ou amphi atone dès les premières lueurs de la journée. A chacun sa sentence, son chemin de croix, ou de craie. Le lyrisme n’a pas sa place une fois la rentrée arrivée ; il ne lui reste plus qu’à hiberner, ou crever sur le bas côté de la chaussée (comme tout oiseau qui se respecte) …

Et pourtant …
Et pourtant, c’est à la rentrée que le lyrisme renaît. Car notre oiseau lyre est Phénix. Et s’il était fier et libre pendant les vacances, voletant avec toute l’insouciance que lui permet la liberté totale et absolue, il se métamorphose dès les débuts de l’ennuyeuse prose que le professeur impose. Plantons le cadre.

Trois coups !
Le rideau se lève.
« Aaaaaaaaaah, fait l’assemblée. L’indistincte rumeur des spectateurs en mal de drame se tait. Apparaît l’enfant, seul sur la scène. Dans le fond, sur le mur, est peinte une classe. Le projecteur éclaire le professeur, son tableau ; s’éteint et se rallume, et recommence. L’élève regarde la peinture, il soupire. Non pas qu’il s’ennuie, mais tout cela est monotone. Cours.
Soudain arrive une écolière. Le projecteur l’illumine.

- Bonjour.
- Bonjour.
- Comment tu t’appelles ?
- Dis moi ton nom d’abord.
- Moi c’est Pierre.
- Moi c’est Laure.

Ils se séparent, la recréation est terminée et chacun regagne sa place. Noir. On change le tableau d’arrière scène. Sur le nouveau n’est plus représentée que la petite fille, en couleurs vives. Le projecteur n’éclaire plus qu’elle, le garçon la regarde. La Laure du tableau ne lui rend jamais ses sourires. Entrent en scène la classe et le professeur. Un cours a lieu. Le bambin regarde toujours le tableau, seul dans sa contemplation, seul dans sa complicité.
Noir. Maintenant, le tableau est vierge, Laure a rejoint la classe, et le maître continue la leçon. L’écolier se lève, va jusqu’au chevalet.
C’est une toile d’environ un mètre quarante, sur un mètre, entièrement blanche. Il prend un pinceau et se met à peindre (quoi de plus logique ?). Pas de formes, juste des couleurs, éclatantes, qui se superposent les unes aux autres, des brouillons bariolés, un charivari de pigments qui dansent une folle farandole sous les doigts du gamin. Et puis soudain, le chef d’œuvre. Emergent de ce magma peinturluré les traits de Laure, sublimés, rendus encore plus beau, plus fins, plus vrais –si cela est seulement possible- que ceux du modèle lui même. Subjugué par sa propre audace, le jeunot étouffe un hoquet de surprise et lâche le pinceau. Que Laure le regarde ou pas maintenant, cela n’a plus d’importance, il a son amour en face des yeux, immuable et plein de grâce, immarcescible et beau pour les siècles et les siècles, à tes souhaits.
Lorsqu’il touche le sol, le pinceau redevient oiseau et s’envole …


Le lyrisme, à la rentrée, il n’est plus « libre » comme l’oiseau lyre. Il meurt pour renaître sous une forme plus modeste, plus intime, et fait son nid au plus profond de nous même. Et c’est là qu’il est le plus fort, le plus grand, le plus beau : parce qu’il est contraint, enfermé, enchaîné. Il voit les rêves de l’enfant, les fables dont il se berce quand le professeur a le dos tourné, mais ne peut les réaliser. Il ne peut jouer avec lui. C’est à peine s’il peut lui signifier sa présence. Alors, prisonnier des règles de l’école, il inspire l’écolier et lui donne à contempler ses propres rêves grâce à l’art …

Automne, ô tonne ! Chape de feuille qui plombe mon cœur d'une langueur monotone. Le soleil fond, ses rayons coulent dans le ciel, le délavent de son azur, pour s'en aller mourir dans l'eau miroitant les couleurs chamarrées de ces chaudes voltigeuses que le vent fait valser en improbables arabesques virevoltant encore lorsque vient l'heure pour l'élève de reprendre le chemin de craie qui le conduit à la Beauté.


C’est la rentrée, adieu l’été
La rose se meurt sous les baisers
Bonjour à Laure, à la nouveauté
Et tout est à recommencer …



Marcel Shagi

2 commentaires:

  1. Super !
    J'ai beaucoup aimé cette petite prose. C'est très enlevé comme style ! A quand un pour chaque saison ?

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  2. Je suis ravi que vous ayez aimé !
    Un pour chaque saison ? C'est une bonne idée ... je n'y avais pas songé.

    Sans lien avec ce texte, un poème sur "l'Hiver" a été posté récemment. Peut-être vous plaira-t-il aussi ?
    http://sousespacesale.blogspot.fr/2013/06/lhiver.html

    Bien à vous,
    Marcel

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